dimanche 18 avril 2010

[Jarry et les autres] Le père Ubu

Père Ubu: (...) Dépêchez-vous, plus vite, je veux faire des lois, maintenant.
Plusieurs: On va voir ça.
Père Ubu: Je vais d'abord réformer la justice, après quoi, nous procèderons aux finances.
Plusieurs magistrats : Nous nous opposons à tout changement.
Père Ubu : Merdre. D’abord les magistrats ne seront plus payés.
Magistrats : Et de quoi vivrons-nous ? Nous sommes pauvres.
Père Ubu : Vous aurez les amendes que vous prononcerez et les biens des condamnés à mort.
Un magistrat : Horreur.
Deuxième : Infamie.
Troisième : Scandale.
Quatrième : Indignité.
Tous : Nous nous refusons à juger dans des conditions pareilles.
Père Ubu : A la trappe les magistrats !
Mère Ubu : Eh ! Que fais-tu père Ubu ? Qui rendra maintenant la justice ?
Père Ubu : Tiens ! Moi. Tu verras comme ça marchera bien.

Ubu Roi, Alfred Jarry, acte III scène 2

Alfred Jarry  a donné vie au Père Ubu en… 1896… qui l’eût cru ???
Absurde, grinçant, gras. Une farce politique comme je les aime. Il me faisait bien rire avec son « merdre » quand j’étais petite. C’est le genre d’œuvre qu’on peut lire une fois par an, parce qu’il y aura toujours un détail qu’on aurait loupé ou une réplique qui n’aurait pas tout de suite pris sens. En tout cas, cette pièce prend sens dans notre France d’aujourd’hui, comme si Jarry eût été un pamphlétaire contemporain et croyez moi bien, si une telle œuvre, aussi explicitement parodique du pouvoir en place était écrite aujourd’hui, je doute qu’elle soit éditée en grande pompe.

Mais comme on aime les réfractaires une fois morts (genre Guy Môquet ou Jean Jaurès), la pièce de Jarry a été ajoutée au répertoire de la comédie française il y a peu.

Si vous voulez vous faire plaisir avec encore plus de satyre, l’histoire d’Ubu est une trilogie. Ubu Roi a été suivi d’Ubu Enchaîné et d’Ubu sur la butte.

Possédé par son œuvre, Alfred aurait même, parait-il, viré un peu de la carafe, s’identifiant au père Ubu d’une manière de plus en plus schizophrène…. Ben merdre.

Dans le même temps que cette pièce revêt un tout nouveau look académique, il s’en publie des versions ça et là. Pas que ça m’attriste. Bref. On s’y intéresse donc, à ce gros beauf’ qui finit au pouvoir (rien d’étonnant car les gros beauf’ au pouvoir intéressent souvent beaucoup de monde, tellement que des fois, on vote même pour eux….)

Deux gens qui s’appellent Luc Duthil et Aurore Petit en ont fait une BD bien sympathique, même pour ceux qui n’affectionnent pas particulièrement la BD comme c’est mon cas. Cela dit, il est indispensable de connaître la pièce en vrai et de se faire des images soi-même, parce que c’est quand même là l’essence du théâtre.

Sinon, il y a la version album illustrée avec des tableaux de Ricardo Mosner (connaissais pas), mais qui a bien chopé l’univers d’Ubu.

Et puis le meilleur pour la fin. Claude Semal voulait éviter que le commun des mortels passe à côté de la satyre et ne prenne ce chef d’œuvre que pour une histoire loufoque et dérangée sans crédibilité. Du coup, il met le pieds dans le plat en annonçant : « toute ressemblance avec des personnages existats ou ayant existé est totalement impossible. Dans la réalité, personne n’est aussi con, abject, menteur, narcissique, veule, cupide et ridicule. ».  Sa pièce : « Ubu à l’Elysée » a été jouée à Bruxelles en 2009 (à quel endroit pouvait-on mieux ridiculiser un président français ?). C’est aussi gras, gros, caricatural, énorme que du Ubu, miraculeusement drôle et lucide. A aucun moment il n’est possible de se dire : « il en fait trop », Alfred Jarry étant déjà allé très loin dans le burlesque. Du coup, plus besoin d’aucune crédibilité dramatique. Et ce qui m’a fait rire le plus c’est que tout saute aux yeux. On se rend compte que si on enlève le côté dramatique de sa politique, tout est burlesque chez ce président narcissique, vaniteux, roquet et cupide. C’est un Ubu. Comment n’y avait-on pas pensé plus tôt ?

Parmi les personnages, on trouve : Nicolas Ubu, Brise-couille Portefeux, Marla Carloni (princesse bolognaise), le Docteur Kouchparter (et sa conscience : un ver qui pète)…

Ubu : Ah ! Brise-couille Portefeux, mon fidèle compagnon
Je songe au premier ministre et je voudrais ton opinion
Brise-couille : C’est trop d’honneur Majesté, je suis prêt à servir la nation.
Ubu : Imbécile ! Pour ta servilité, j’ai d’autres ambitions.
Trouve moi un premier ministre qui s’appelle … Trouduc !
Brise-couille : Trouduc ?
Ubu : Trouduc !
Brise-couille : Drôle d’idée Majesté. Il y a bien un certain Le Fion.
Ubu : Le Fion ?
Brise-couille : Le Fion ! Mais il n’est point duc.
Ubu : LE Fion ! Très bien, LE fion ! Voilà un nom prédestiné !
Il sera mon premier ministricule.
Je pourrai m’asseoir dessus comme sur mon propre cul.

Je vous conseille donc avant toute chose de lire Ubu Roi, puis Ubu à l’Elysée. Les deux autres bouquins sont plaisants mais pas incontournables, ce qui est le cas des deux premiers !!

références:

Alfred Jarry, Ubu Roi, peintures de Ricardo Mosner, Gallimard Jeunesse, 2007

Claude Semal, Ubu à l'Elysée, Editions Aden, 2009

Bonne lecture, de par ma chandelle verte!!